C’est avec un grand plaisir
que je m’acquitte de cette tâche
de présentation du roman, que mon ami et jeune frère, Bathie Ngoye, m’a confiée.
Et au-delà du plaisir qui me comble, c’est un grand honneur qu’il me fait aussi, car, il compte bien des amis, qui pourraient mieux que moi, assumer parfaitement, cette tâche.
Mais malgré tout, c’est sur ma modeste personne, qu’il a porté son choix. Sans aucun doute, pour me témoigner une fois de plus, son amitié. Ce qui me va droit au cœur et je l’en remercie infiniment.
De son vrai nom Samba Thiam, mais plus connu sous son nom d’artiste, Bathie Ngoye Thiam. Pour ceux qui ne le savaient pas, Bathie Ngoye est à la fois architecte de formation, il est par ailleurs, écrivain, artiste peintre, réalisateur, metteur en scène, acteur, comédien…,et il excelle dans tous ces domaines, qui relèvent tous aussi en vérité, de l’Art. Mais, en pratique, c’est la peinture qui l’emporte sur tout le reste.
Le roman Fawenatou, l’objet de notre rencontre, est son cinquième ouvrage dans une carrière prometteuse de romancier et d’artiste multidimensionnel.
Fawenatou est une histoire d’amour, d’amitié, de générosité, de fidélité, de disponibilité et d’une grandeur d’âme extraordinaire d’une part, et d’autre part le récit de la vie des émigrés africains en France, avec des fortunes diverses.
Fawenatou, le prétexte de ce roman, est le nom d’une jument, d’un riche commerçant, surnommé Touchetou, établi à Bambey au Sénégal. Cette jument suscite auprès d’un adolescent une fascination et un amour sans limite, quasiment, synonyme d’adoration. Fawenatou occupe finalement tout l’univers de ce garçon.
Alors, un jour, décision fut prise par Monsieur Touchetou de transférer Fawenatou en France. Mais, compte tenu de l’amour si fort que voue l’adolescent à la jument, une séparation brutale risquerait de provoquer un drame. Ce qui serait très regrettable et assurément insupportable pour l’adolescent. La famille décida alors, d’adopter finalement le garçon. Alors, pour éviter cette séparation, les deux amis furent embarqués ensemble pour la France. Ainsi, jusqu’à la disparition tragique de Fawenatou, les deux amis étaient restés inséparables et avaient formé un tout, qui symbolisait une amitié pure et exemplaire.
Son image demeure en lui, même après sa disparition. Et, celle-ci réapparait en lui, comme une chose incarnée, surtout à certains moments où il ressentait la solitude. C’est un roman très plaisant, facile à lire, parce que bien écrit dans un langage simple et compréhensible.
Dans un style raffiné, dont Bathie seul connait le secret, l’auteuremporte aisément le lecteur assouvissant sa soif de lecture. Bathie Ngoye fascine ses lecteurs par sa manière caustique de narrer les faits, dans un langage imagé. Il laisse transparaitretout son art et aiguise l’appétit de ses lecteurs. Sans aucun doute, c’est ce qui lui vaut tant de fans, qui adorent son style.
L’ouvrage aborde plusieurs sujets avec des personnages différents et variés dans leur prise de conscience. Mais, le tout, relatif à l’amour, la fidélité, l’amitié, l’échec, à l’expérience malheureuse d’un étudiant devenu aventurier, à la vie dure, avec des fortunes diverses, des émigrés africains en France…, essentiellement, les sans-papiers ou « sans-dents » comme il les nomme.
En dehors, des contraintes imposées par les autorités françaises, les sans-papiers sont aussi privés de l’assistance des imams des mosquées et de leurs propres autorités. Pire, celles-ci furent même complices de leur expulsion par charter vers leur pays d’origine. Seuls les gens de l’Église comme le père Coindé, l’Abbé Pierre et d’autres s’étaient admirablement impliqués, de même que la société civile, des partis politiques et une bonne frange de la population. Tout ce décor a été admirablement décrit et largement relaté par l’auteur.
Le roman est certes une fiction, mais c’est aussi une partie de la biographie de l’auteur, et les représentations sont si proches de la réalité, que le lecteur, à cause de cette ressemblance frappante, pourrait se croire dans son propre vécu. Cette impression dissimule la fiction et plonge le lecteur dans une réalité, fictive. Ce don de narration de l’auteur, participe à la beauté du roman.
Devenu plus tard, veilleur de nuit dans un foyer de migrants, il a été sollicité une première fois par des compatriotes sans abris, pour juste, selon leurs dires, un gîte où dormir. Par solidarité et générosité, il accepta. Mais, ces derniers ont passé outre leur serment, en abusant de son téléphone, sans payer la facture. Ce, dont il s’est rendu compte que bien plus tard. A nouveau, il le fit pour deux autres, qui n’étaient pas non plus en règle, mais voulaient qu’il loua pour eux un studio à son nom. Ce qu’il fit encore sans arrière-pensée. Mais, contre toute attente, ceux-là également n’ont jamais remboursé l’argent avancé.
Au cours d’une de ses promenades, il rencontra dans un jardin public, un immigré malien sans-papier du nom de Mamadou Traoré, qui se cachait de la police. Il décida de l’héberger dans sa chambre au « Foyer-hôtel… » bien que cela soit formellement interdit par le règlement. Il « trompa » la vigilance du gérant du Foyer oupeut-êtreque celui-ci avait plutôt fermé les yeux sur le cas. Ce geste de solidarité à l’endroit de Mamadou, témoigne de son degré de compassion et d’humanisme. Par cet acte, de secourir un sans-papier, qui courait des risques d’expulsion, il a fait preuve de solidarité agissante. Nous étions à l’époque des lois Charles Pasqua, ministre français de l’intérieur. Celui-là, qui pourchassait les immigrés africains avec sa police en patrouilles permanentes, afin de dénicher les sans-papiers. Ainsi, Mamadou appelait affectueusement son bienfaiteur, « Grand-frère ».
Mamadou, las de jouer à cache-cache avec la police, décida avec risques et périls, comme certains sans-papiers, de rejoindre les immigrés en lutte, réfugiés au sein de l’Eglise Saint Bernard. Il le dit en ces termes : « …. Grand frère, je ne vais plus me cacher. Depuis plus d’un mois, des centaines de sans-papiers occupent l’église Saint-Bernard pour attirer l’attention sur leur condition. Et tu sais quoi ? Ils sont tous noirs et musulmans ! Je vais les rejoindre et lutter avec eux. »
Au cours d’un échange entre les deux, Mamadou lui raconta les difficultés sociales que vivent les africains chez eux. Situation, qui est à la base de l’émigration des Africains vers l’Europe. Et ensuite sur le calvaire que les immigrés Africains subissaient aussi en France, sous l’ère du tristement célèbre Charles Pasqua.
Mamadou, rajouta ceci : « On fait tout pour se débarrasser de nous. Mais, même si on renvoyait tous les immigrés chez eux, les Français qui se plaignent aujourd’hui se retrouveraient dans la même situation, voire pire. Je pense que le vrai problème qui se pose ne vient pas des immigrés mais des riches, les patrons qui « gagnent » en un mois le salaire annuel de plusieurs centaines d’ouvriers. C’est indécent… Ce sont eux, les responsables de cette calamité qu’on appelle « crise » ! Ce sont eux qui bloquent la moitié des richesses du monde dans des coffres-forts ! »
Lorsque le « Grand frère » rétorqua pour lui dire que : « les riches croient cependant, qu’ils méritent leur fortune et, ne sont point les responsables de la pauvreté sur terre. »
Mamadou rebondit pour dire : « Grand frère, il est bien connu que les riches deviennent de plus en plus riches. Et l’argent ne tombant pas du ciel, il faut bien qu’ils le prennent de ceux qui deviennent de plus en plus pauvres. Ça peut te paraître très simpliste, mais c’est la triste réalité. La France est plus riche aujourd’hui qu’il y a vingt ans, pourtant le pourcentage de pauvres est plus élevé. Comment expliquer ça ? Les riches n’ont qu’un objectif, même s’ils n’en ont pas conscience ou ne veulent pas le reconnaître : exploiter les pauvres jusqu’à ce que mort s’ensuive. Si ça continue ainsi, les pauvres des pays sous-développés seront effacés de la surface de la planète, puis ce sera le tour de ceux d’ici, car il faudra bien que les riches puissent continuer à accroître leurs fortunes. »
Incontestablement, les observations de Mamadou sont d’une pertinence et réalité irréfutables.
Et, il conclut par ceci : « Grand-frère…Tu sais, l’Afrique a été très affaiblie par l’esclavage et la colonisation, puis déstabilisée par des hommes politiques qui, en recopiant le modèle occidental, n’en ont retenu que les défauts et y ont rajouté la corruption et la dictature. Mais qui a formé ces gens et les a placés au pouvoir ?… Ce qui est troublant, Grand frère, c’est que les pays pauvres dans leur quasi-totalité, ont été colonisés par les pays aujourd’hui enrichis. Que sont devenus les diamants du Congo, l’or du Ghana et j’en passe ? Imagine ce que serait la France si l’occupation avait duré quatre siècles… »
Avant le Malien, il avait rendu service à des compatriotes en désespérance. Mais, ces derniers, des indélicats, n’avaient rien trouvé de mieux, que filer à l’anglaise, sans remercier leur hébergeur. Par contre, Mamadou, lui, a fait preuve de reconnaissance en remerciant son « grand frère » sénégalais de son hospitalité.
Enseignement : la confiance et la droiture ne se situent pas toujours du côté où on les pense.
Un soir, sur l’esplanade du Centre Pompidou à Paris, le hasard le conduisit sur le chemin d’un musicien solitaire, un virtuose de la guitare, qui l’impressionna beaucoup. Parce qu’il jouait admirablement la guitare. Ils furent plus amplement connaissance par la suite. Chemin faisant, c’était un Sénégalais, du nom de Badara Cissé. En fait, il était venu poursuivre ses études supérieures en France. Après quelques échanges d’amabilités entre les deux, il le baptisa « Grand-Badou ». Mais cette nouvelle rencontre était un cas particulier, car, il s’agissait d’une autre expérience de vie d’émigré, de certains Africains en France.
En effet, après trois ans seulement d’études, « Grand-Badou » jeta par la fenêtre toutes les recommandations capitales que ses parents lui avaient confiées. Il dévia totalement, de la voie royale qui lui était tracée pour devenir un grand cadre dans son pays. C’était le vœu d’un avenir radieux, que ses proches lui souhaitaient. Malheureusement, « Grand-Badou » avait choisi lui l’inverse, en disant adieu aux études. Il emprunta ainsi, le chemin qui le conduira malheureusement, vers l’alcool, la drogue et la débauche, avant de finir en clochard. Donc, tout le contraire de l’objectif initial.
Alors, Grand Badou se révèle être, l’un de ces immigrés Africains qui, une fois en France, oublient les raisons fondamentales de leur venue encette mêmeFrance. Et, qu’il était porteur d’espoir d’un pays, pour devenir un cadre supérieur. Sans oublier aussi que, sa famille comptait sur son retour triomphal, pour améliorer leursconditions de vie. Il est aussi regrettable que, personne parmi ses amis n’ait réussi à lui faire prendre conscience, de ne pas abandonner ses études et de se remettre sur le droit chemin, celui de l’honneur. Malheureusement, il était déjà sur une pente glissante imparable vers l’échec.
En conséquence, d’abus d’alcool, il passa à celui des femmes et de la drogue, avant de s’essayer en dealer. Arrêté une fois par la Police, il fut fiché et classé parmi les délinquants. Se retrouvant dans une situation intenable, il décida de rentrer au pays sans rien. Il mentit à sa famille et ses amis, avec une honte dissimilée, en leur déclarant qu’il venait juste en vacances. Mais quelques jours seulement après, il se rendit compte, que son mensonge ne pouvait pas tenir longtemps, face à la réalité. Ainsi, il informa son ami Tamsir, de l’atmosphère invivable au pays. Vu la situation insupportable, il décida de fuir son pays pour retourner vite en France.
Mais de retour en France, Grand-badou reprit de ses anciennes amours. Il continua à jouer la musique, mais aussi d’abuser davantage de l’alcool, des femmes, de la drogue, et finit par rejoindre les badauds.
Grand-Badou, fatigué de mener une vie sans lendemain depuis tant d’années, et conscient de son insignifiance pour les siens, tenta un jour de se suicider. Il fut sauvé in extrémis par quelqu’un. C’est à partir de ce jour-là, qu’il prit la décision de rentrer définitivement malgré tout, au Sénégal, sans parchemin. Depuis lors, les deux entretenaient une correspondance régulière, à travers laquelle, Badou remerciait son petit frère et lui rendait compte de ses activités. Ainsi, ne disposant que de son talent de musicien, il s’est converti finalement en producteur de musique, et a même dédié, pour lui faire plaisir, un beau morceau à son amie Fawenatou.
Tandis que Mamadou, avec qui, tout contact était perdu depuis l’évacuation des sans-papiers de l’Eglise Saint Bernard, était aussi rentré au Mali, sans aucun moyen. Lui également avait adressé une correspondance à son grand frère, dans laquelle, il le remerciait infiniment, pour tout ce qu’il a fait pour lui. Il l’informait à l’occasion, attendre d’avoir des moyens pour marier sa promise, qui l’attendait depuis lors. En réponse, Samba lui envoya une somme d’argent consistante pour lui permettre de réaliser quelque chose dans son pays, là où il n’est pas « sans-papier ». Et, il lui souhaita également un heureux mariage avec Orokhiya, sa fiancée.
Le roman recoupe bien avec l’actualité d’aujourd’hui, qui se rapporte à l’émigration clandestine, avec son bilan macabre de milliers de victimes. Mais avec la différence qu’à l’époque, les émigrés n’empruntaient pas les voies actuelles si périlleuses. Nous avons là, deux exemples d’immigrés typiques : l’un, Sénégalais, qui malgré les faveurs dont il disposait au départ pour réussir, a par inconscience tout sacrifié, au profit du vagabondage. Tandis que l’autre, Malien, bien que démuni et confronté à des difficultés, avait pris conscience de la situation des immigrés. Car, il avait rejoint la lutte des sans-papiers, pour sensibiliser les gens de leur condition. Mais en vain, car, malgré tout, il a été expulsé avec la complicité des autorités de son pays au Mali.
C’est avec un grand plaisir
